The Healthcare Divide – 3e épisode

The Inuit Battle Against TB

Description

Au milieu du XXe siècle, les Inuits atteints de tuberculose étaient arrachés à leur communauté et envoyés dans des sanatoriums du sud du Canada. Beaucoup d’entre eux ne sont jamais revenus et leurs familles n’ont jamais su ce qui leur était arrivé. Nous étudions cette crise et la manière dont cette histoire a continué à affecter ces communautés, et pourquoi, aujourd’hui encore, les taux de tuberculose y sont 300 fois plus élevés que dans le reste du Canada.

Invités

Louassee Kuniliusee, survivante de la tuberculose

Natan Obed, président d’Inuit Tapiriit Kanatami 

Beatrice Ikkidlua, fille d’une survivante de la tuberculose

Transcription

The Healthcare Divide, traduction de la transcription du balado

3e épisode – The Inuit battle against TB

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut] 

Traducteur Lorsqu’ils se dirigeaient vers l’hôtel, il a vu un lac et l’a reconnu.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut] 

Traducteur Et il y a une rivière.

Dr Alika Lafontaine Louasee Kuniliusee est à Hamilton, en Ontario, pour la première fois depuis près de 70 ans. Il s’exprime en inuktitut, avec un interprète qui traduit en anglais.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Quand j’ai vu et reconnu le lac, j’ai pleuré.

Dr Alika Lafontaine Il était l’un des 1200 patients inuits atteints de tuberculose qui ont été envoyés au Mountain Sanatorium à Hamilton dans les années 1950 et 1960. Il n’avait que huit ou neuf ans.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur À l’époque, je n’étais qu’un enfant, et je m’en souviens. Quand je l’ai vu, j’ai commencé à pleurer.

Dr Alika Lafontaine Au milieu du XXe siècle, le transfert forcé des tuberculeux dans des sanatoriums était la norme. Une façon d’empêcher la maladie contagieuse de se propager. Ces efforts pour lutter contre la maladie ont eu des effets dévastateurs sur les Inuits, qui se font encore sentir aujourd’hui.

Natan Obed Des jeunes meurent de la tuberculose dans nos communautés. Il y a eu des décès très médiatisés.

Dr Alika Lafontaine Le système de santé canadien devrait offrir un accès égal à tous. Mais en réalité, il s’agit d’un système de nantis et de démunis. Je m’adresse aux personnes qui ont vécu les inégalités de première main et à celles qui s’efforcent de faire changer les choses.

Natan Obed Il est encore temps pour le gouvernement d’agir et de faire plus. Quand est-ce qu’une crise pour les Inuits est une crise pour le Canada ?

[clip sonore] Justin Trudeau Le taux d’incidents chez les Inuits de l’Inuit Nunangat est plus de 300 fois supérieur à celui de la population non autochtone du Canada. C’est inacceptable.

Dr Alika Lafontaine Les Inuits mènent une bataille contre la tuberculose, une maladie infectieuse à laquelle on pense rarement dans le sud du Canada. Dans cet épisode, nous tenterons de comprendre pourquoi les taux sont encore si élevés au sein de la population inuite du Nord du Canada. Nous abordons aujourd’hui des sujets difficiles, notamment les abus physiques et émotionnels subis dans le système médical. Certains auditeurs peuvent trouver cela choquant, alors soyez prudents en écoutant.

Je suis le Dr Alika Lafontaine, anesthésiste et premier médecin autochtone à avoir dirigé l’Association médicale canadienne. De la Fondation canadienne des relations raciales… voici The Healthcare Divide.

Dr Alika Lafontaine Le Canada est en train de réexplorer son histoire. Vous savez, la colonisation, en particulier en ce qui concerne les Inuits, a provoqué d’énormes bouleversements et un changement de mode de vie. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur ces bouleversements et sur leur lien avec la situation actuelle de vos communautés en ce qui concerne la tuberculose ?

Natan Obed L’interaction coloniale entre les Inuits et les non-Inuits remonte parfois aux années 1600, bien que dans la majeure partie de l’Arctique canadien et de l’Inuit Nunangat, ce n’est que dans les années 1940 et 1950 que le gouvernement du Canada a commencé à s’intéresser à l’installation des Inuits dans des colonies, dans des communautés de style méridional, et à leur fournir des services administratifs, des logements et des services dans le cadre de ce que beaucoup d’autres considéreraient comme une construction communautaire canadienne.

Dr Alika Lafontaine Natan Obed est président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, également connu sous le nom d’ITK, qui est le groupe national représentant 70 000 Inuits au Canada qui vivent principalement dans ce qui est collectivement connu sous le nom d’Inuit Nunangat. Ce territoire inuit s’étend sur quatre régions : les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le nord du Québec et le nord du Labrador.

Natan Obed C’est à cette époque que l’épidémie de tuberculose a vraiment pris de l’ampleur, car les logements des communautés étaient souvent bien inférieurs à ceux auxquels les Inuits étaient traditionnellement habitués, et les Inuits n’en savaient absolument rien, pour la plupart d’entre eux. Les maisons étaient donc construites avec du contreplaqué, du papier journal et tout ce que les Inuits pouvaient récupérer dans les décharges et ailleurs.

Dr Alika Lafontaine Le déménagement forcé signifiait que les Inuits devaient lutter pour survivre dans un territoire inconnu avec peu de soutien et peu de ressources. Beaucoup ont eu du mal à s’adapter à ce bouleversement et à cette perte considérable. Pour certains, cela a été fatal.

Natan Obed Ma grand-mère est morte d’une intoxication alimentaire quelques mois seulement après avoir été déplacée de sa communauté vers une communauté du sud du Labrador. Et c’est en grande partie parce qu’elle n’a pas compris comment préparer un plat traditionnel dans un baril de pétrole et dans des récipients du sud qui n’étaient pas du tout destinés à être utilisés pour la consommation alimentaire. C’est le genre de choses qui sont arrivées aux Inuits à travers le pays.

Dr Alika Lafontaine La relocalisation forcée et les conditions de logement inadéquates sont devenues le terreau de la tuberculose.

Natan Obed Dans les années 1950, environ un Inuit sur trois était atteint de tuberculose active ou latente dans ce pays.

Dr Alika Lafontaine Les personnes atteintes de tuberculose étaient considérées comme un danger pour la société et devaient être rapidement isolées. L’Inuit Nunangat ne disposait pas d’une infrastructure sanitaire adéquate pour faire face à cette situation. Certains médecins de l’époque ont plaidé en faveur de l’élargissement et du renforcement de l’infrastructure médicale au sein de l’Inuit Nunangat, mais ils ont été ignorés. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral a opté pour une évacuation massive vers le sud. Les archives montrent que le gouvernement était conscient que la politique d’évacuation était très perturbante pour les Inuits et que de nombreuses personnes souhaitaient que des centres de traitement soient établis dans le Nord.

[clip sonore] Annonceur radio Lorsque nous pensons aux Esquimaux, nous les imaginons généralement sur un fond de glace et de neige balayé par le vent. On ne s’attend pas à trouver ces premiers Canadiens dans la région métropolitaine de Hamilton. Pourtant, ils sont ici, au Mountain Sanatorium, en train de suivre un traitement contre la tuberculose. 

Dr Alika Lafontaine Il s’agit d’un reportage de Radio-Canada datant de 1959. Le terme esquimau n’est plus utilisé aujourd’hui.

Natan Obed Entre les années 1940 et 1960, environ la moitié de la population inuite s’est rendue dans le sud pour se faire soigner de la tuberculose dans des sanatoriums. À cette époque, il n’y avait pas non plus de médecins dans l’Inuit Nunangat. Nos communautés avaient à peine des centres de santé avec des infirmières. Ainsi, en été, les navires venaient chercher les Inuits dont le test de dépistage de la tuberculose était positif et les forçaient à se rendre dans le sud, souvent sans leur expliquer pourquoi. Parfois, ces personnes sont restées éloignées de leur communauté pendant des années.

Dr Alika Lafontaine Et donc vous avez maintenant des familles, comme vous en parliez, qui voient ces bateaux arriver et les évaluer pour une épidémie qui se propage dans le Nord. Pouvez-vous nous parler un peu de cette expérience ?

Natan Obed Oui. Pendant un certain temps, le navire s’appelait le CD Howe. C’était l’un des principaux navires utilisés à cette fin. Il jetait l’ancre dans un port et des fonctionnaires venaient dans un camp. Souvent, il ne s’agissait même pas d’une communauté, mais d’un endroit où les responsables de la santé savaient que des Inuits étaient installés. Et si un membre de la famille était positif, on lui disait simplement qu’il devait faire ses valises et venir. Il pouvait s’agir d’un aîné de la communauté. Il pouvait s’agir d’un enfant, d’une mère et de son fils ou d’une mère et de sa fille. Quelle que soit la personne, elle devait presque immédiatement embarquer sur le bateau. Ils ne savaient pas vraiment où ils allaient. On ne savait pas quand ils allaient revenir. De plus, beaucoup ne comprenaient pas vraiment pourquoi ils étaient emmenés. On pensait généralement que quelque chose n’allait pas chez eux. Mais imaginez ce scénario d’impuissance où votre famille peut être déchirée en un instant sans que vous sachiez pourquoi, et sans que vous sachiez non plus la durée de ce départ.

Dr Alika Lafontaine Dans les années 1950, environ un Inuit sur sept a été emmené loin de chez lui, certains sans jamais avoir eu la chance de dire au revoir à leur famille. Robert Williamson, un anthropologue qui a voyagé sur le CD Howe en 1953, a décrit le navire comme étant «plongé dans la misère». Il a écrit que les Inuits étaient «entassés dans la cale du navire. Nourris et logés en masse. Dans la mer agitée, ils étaient malades, terrifiés, démoralisés. Ils étaient effrayés par ce qui leur arrivait. De ce qui risquait de leur arriver». Après un long et difficile voyage, ils arrivent à destination : des sanatoriums dans des villes comme Hamilton et Edmonton. Des villes situées à des milliers de kilomètres de chez eux.

Natan Obed À cette époque, il y avait aussi le prochain cycle de séparation : les mères et les enfants pouvaient être séparés, les partenaires ne recevaient pas nécessairement des soins dans le même établissement ou n’étaient pas en mesure de vivre ensemble dans un établissement.

Beatrice Ikkidluak Elle me racontait ici et là certaines expériences, mais pas toutes. Et elle m’a dit qu’elle avait fait une dépression à l’hôpital.

Dr Alika Lafontaine Alors qu’elle n’avait que deux ans, la mère de Beatrice Ikkidluak a été envoyée au Mountain Sanatorium à Hamilton.

Beatrice Ikkidluak Elle ne nous l’a pas vraiment dit. Elle ne nous a pas vraiment parlé de son expérience lorsqu’elle était absente. Mais ici et là, lorsqu’elle était seule avec moi, elle me racontait de petits bouts de ce qui s’était passé. Une expérience qu’elle n’a pas vraiment aimée, c’est qu’on lui a montré une chose qui était en train de cuire à la vapeur. Il y avait une sorte de sac et de la vapeur en haut. On lui avait dit que si elle ne se comportait pas bien, on pourrait la mettre là-dedans, dans le sac où il y avait de la vapeur. Et elle s’est dit, oh, ils vont me brûler. 

Dr Alika Lafontaine Des expériences comme celle-ci étaient courantes. Des lettres écrites par des patients donnent une idée de ce que c’était. Certains ont été maltraités par les travailleurs. Certains ont été privés de nourriture. D’autres ont été mis dans des camisoles de force. Puisque les médecins pensaient que le repos au lit était le meilleur remède, les patients inuits étaient forcés de rester à l’intérieur. Même les enfants et les jeunes adultes valides étaient confinés à leur lit, parfois pendant des mois. Beaucoup d’entre eux sont devenus déprimés et ont souffert de troubles mentaux.

Beatrice Ikkidluak Je n’ai pas vraiment de relation mère-fille avec elle depuis qu’elle a été emmenée. Je n’ai donc pas connu la véritable proximité d’une mère. Elle a eu sa vie. Sa dépression a eu un impact considérable sur elle. C’était dur pour nous, les enfants, très dur pour nous. Parce qu’elle avait été absente pendant si longtemps. Ses beaux-parents étaient décédés pendant qu’elle était à l’hôpital. Et tous les autres membres de sa famille qu’elle connaissait étaient décédés pendant son absence. C’était trop pour elle. Elle ne savait plus vraiment comment être mère. Et elle devait prendre des médicaments pour cela. C’était donc très dur pour nous, surtout pour moi, parce que les autres étaient partis se marier et que j’étais toujours à la maison. J’étais la seule à la maison, et c’est donc moi qui ai eu le plus d’impact sur sa vie. La vie mentale a changé.

Dr Alika Lafontaine Après 2 ou 3 ans, de nombreux patients ont été renvoyés dans l’Inuit Nunangat. Mais certains ont été déposés au mauvais endroit, à des centaines de kilomètres de leur domicile. Parmi ceux qui sont rentrés chez eux, beaucoup ont eu des difficultés à se réadapter à leur ancien mode de vie. Certains enfants avaient oublié leur langue et ne pouvaient plus parler à leurs parents. D’autres jeunes n’ont jamais été rendus à leurs parents, mais ont été placés dans des familles d’accueil à l’insu de leur famille, avant d’être adoptés par des familles blanches dans le Sud.

Natan Obed Nous avons donc eu des cas où des mères recherchaient encore leurs enfants qui étaient allés se faire soigner dans le Sud alors qu’ils étaient très jeunes et qu’ils étaient peut-être encore en vie et qu’ils avaient peut-être été adoptés. Dans certains cas, il s’agit d’une angoisse intergénérationnelle à propos de ces événements et de ces moments où l’on se demande toujours ce qui est arrivé à une certaine personne ou à un certain enfant pendant que le gouvernement administrait les soins de santé pour les citoyens du Canada. C’est tout simplement incroyable.

Dr Alika Lafontaine Beaucoup de gens ne sont pas sortis vivants des sanatoriums. On estime que des centaines de patients sont morts et que beaucoup ont été enterrés dans des tombes anonymes dans des cimetières voisins. Dans les cas où les familles ont été informées des décès, elles n’ont reçu aucune information. Pas de cause du décès, pas de lettre de condoléances, pas de détails sur l’endroit où leur proche a été enterré. Dans d’autres cas, les familles n’ont même pas été informées du décès. Certains Inuits ont passé des années à se demander si l’être cher qu’ils avaient perdu était mort ou vivant. Et de nombreuses familles sont toujours à la recherche de leurs tombes.

Natan Obed Vous savez, j’ai entendu des histoires bouleversantes de jeunes Inuits qui ont eu un moment pour dire au revoir à leur grand-parent et qui ne l’ont jamais revu. Il est tout simplement inconcevable, dans le monde d’aujourd’hui, de penser qu’une communauté puisse être divisée à ce point sans tenir compte des droits de l’homme des membres de cette communauté, mais aussi de la dynamique sociale. Les familles inuites de nombreuses régions de l’Inuit Nunangat en ont souffert jusqu’à aujourd’hui.

Dr Alika Lafontaine En fin de compte, ces pratiques imposées par le gouvernement n’ont pas permis d’éliminer la tuberculose. Les taux ont baissé dans les années 70, mais ont recommencé à augmenter quelques décennies plus tard.

Natan Obed Au final, le surpeuplement des foyers et le manque d’intérêt pour la fourniture de services de santé aux communautés inuites ont conduit à une réapparition de la tuberculose dans les années 1980 et 1990. Une situation contre laquelle nous luttons encore aujourd’hui.

Dr Alika Lafontaine Vous avez une histoire de perturbations et de préjudices pour les communautés, de familles déchirées à cause de la façon dont le gouvernement a abordé l’épidémie de tuberculose à l’époque. Qu’est-ce que cela représente pour une famille qui présente des symptômes de tuberculose d’être confrontée à un système de soins de santé qui a accumulé tous ces traumatismes ?

Natan Obed C’est… C’est très compliqué. La tuberculose est encore très stigmatisée et nous essayons d’y remédier. Évidemment, personne ne veut de la tuberculose. Mais en même temps, lorsqu’il y a une tuberculose active dans une communauté, un individu peut avoir un impact énorme sur la propagation de la tuberculose à ses proches et aux membres de sa famille. En tant que personne impliquée dans l’élimination de la tuberculose et dans la promotion des méthodes de traitement de la tuberculose et de leur adoption par les communautés, il est parfois difficile de revenir vers des personnes qui ont un héritage si difficile avec cette maladie particulière et de leur demander de faire à nouveau confiance. Mais quoi qu’il en soit, toute personne qui dispense des soins doit s’appuyer sur ce type de références historiques pour faire preuve de l’empathie nécessaire à l’identification et à l’éradication de la tuberculose active et latente au sein de nos communautés.

Dr Alika Lafontaine Peut-être pourriez-vous aider les gens à comprendre ce qui arrive littéralement à un patient dans l’une des 51 communautés lorsqu’il est diagnostiqué, qu’il est assez courageux pour dire qu’il a la tuberculose. Je sais que dans le Sud, lorsque nous parlons de tuberculose, nous considérons souvent qu’il s’agit d’une maladie très facile à traiter. Mais il est évident qu’avec l’infrastructure existante et les autres obstacles dont vous avez parlé, l’expérience doit être très, très différente pour quelqu’un qui vit dans le Nord.

Natan Obed La première étape est le dépistage de la tuberculose. L’Inuit Nunangat ne dispose pas d’une grande capacité de dépistage, c’est pourquoi nous nous appuyons souvent sur des partenariats avec des laboratoires du Sud. Pour prélever un échantillon et en connaître le résultat, il faut souvent compter 7 à 10 jours entre le moment où l’on prélève l’échantillon et celui où l’on reçoit le résultat. C’est un délai très long lorsqu’il s’agit de la première vague d’intervention pour la tuberculose active. Mais supposons qu’une personne présente une tuberculose active. Souvent, la première chose qu’elle doit faire est de se faire évacuer de sa communauté par un médecin. Il faut alors se rendre dans un centre régional. Il faut parfois parcourir un millier de kilomètres en avion pour obtenir des soins régionaux. Et s’il s’agit d’un cas particulièrement grave, il faut parfois être évacué à Ottawa, à Winnipeg, à Yellowknife ou à Edmonton. Aujourd’hui encore, si quelqu’un souffre d’un cas grave de tuberculose, il devra très probablement se rendre dans le Sud pour recevoir un traitement. 

Dr Alika Lafontaine Pour quelqu’un qui vient de Pond Inlet, par exemple, un vol vers Ottawa représente à peu près la même distance qu’un vol de Winnipeg à Los Angeles.

Natan Obed Les professionnels de la santé savent généralement qu’ils ont affaire à un patient du Nord, mais, dans une large mesure, un patient ne reçoit pas de services dans sa langue maternelle, n’a pas d’autres personnes de sa communauté sur lesquelles il peut s’appuyer pour traverser ces moments vraiment difficiles et doit ensuite surmonter toutes ces différences linguistiques et sociétales pour recevoir des soins. Nous avons ces échos d’inégalités en matière de santé, mais aussi de véritables défis à relever dans de nombreux cas. L’infrastructure de nos communautés et l’affirmation de notre autodétermination à cause de tout ce qui s’est passé pendant cette période. Il est tout simplement stupéfiant que cela se soit produit au Canada. Et c’est, vous savez, l’une des principales raisons pour lesquelles le gouvernement canadien et le premier ministre lui-même se sont excusés du traitement réservé aux Inuits à l’époque de la tuberculose.

[clip sonore] Justin Trudeau Nous devons connaître notre histoire. Nous devons faire face aux dures vérités qui font partie de notre passé. Parce que, pendant trop longtemps, la relation du gouvernement avec les Inuits a été caractérisée par deux poids, deux mesures et un traitement injuste et inégal… [fondu enchaîné]

Dr Alika Lafontaine En mars 2019, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a présenté des excuses pour la mauvaise gestion de l’épidémie de tuberculose par le gouvernement.

[clip sonore] Justin Trudeau Ce fut un chapitre honteux de l’histoire du Canada. La culture et la langue se sont érodées. Les familles ne seront plus jamais unies. Des vies ont été brisées au-delà de toute réparation.

Dr Alika Lafontaine Le gouvernement fédéral s’est engagé à verser des fonds pour faire face à la crise de la tuberculose aujourd’hui. Et un engagement commun a été pris avec l’ITK pour éliminer la tuberculose. Une crise qui dure depuis les années 1940.

[clip sonore] Justin Trudeau L’année dernière, le gouvernement du Canada et l’Inuit Tapiriit Kanatami se sont engagés à éliminer la tuberculose dans tout l’Inuit Nunangat d’ici 2030 et à réduire la tuberculose active d’au moins 50 % au cours des six prochaines années… [fondu enchaîné]

Dr Alika Lafontaine Mais plus de quatre ans plus tard, les Inuits de tout l’Inuit Nunangat continuent d’être confrontés à des conditions de vie surpeuplées, à des taux de pauvreté élevés et à un manque d’accès aux soins médicaux. Les épidémies de tuberculose sont toujours actives. Puis COVID est arrivé.

Natan Obed Heureusement, les Inuits n’ont pas connu, vous savez, de crises au point que des dizaines et des dizaines de personnes sont mortes. Il y a eu des décès dus au COVID, mais ils ont été limités par rapport à la menace de conséquences graves. Ce qui s’est passé avec notre travail d’élimination de la tuberculose, c’est qu’il a été pratiquement mis en veilleuse. Les centres de santé n’étaient pas vraiment ouverts. Les gens n’allaient pas régulièrement se faire dépister pour la tuberculose à l’époque du COVID. Et presque toutes les ressources de toutes les juridictions, pour de bonnes raisons, ont été consacrées au COVID et aux considérations relatives au COVID. Mais à cette époque, les chiffres de la tuberculose ont chuté, comme le montrent les données de nos communautés. Dans certains milieux, on a cru qu’il s’agissait d’un progrès dans nos tentatives d’élimination de la tuberculose. En réalité, il s’agissait d’une lacune dans la surveillance et dans les services. C’est ainsi qu’en 2023, nous avons connu un certain nombre d’épidémies dans les communautés. Et les progrès que nous aurions pu penser avoir accomplis dans l’élimination de la tuberculose pendant la campagne COVID ne se reflètent pas dans les chiffres de cette année. Je trouve fascinant que des milliards et des milliards de dollars aient été consacrés au COVID et à son élimination. Or, nous sommes en train de travailler à l’élimination de la tuberculose et le mieux que nous puissions faire dans le budget 2023 pour les Inuits, c’est 21 millions sur trois ans pour 51 communautés et un taux 300 fois supérieur à la moyenne nationale pour la tuberculose.

Dr Alika Lafontaine L’investissement est en fait inférieur à cela, selon l’annonce du gouvernement. 16,2 millions de dollars sur trois ans. 

Natan Obed Difficile à avaler.

Dr Alika Lafontaine Et si l’on considère le montant des ressources nécessaires pour lutter efficacement contre ce fléau. Qu’en est-il de l’effort ? De quoi auriez-vous besoin pour progresser ?

Natan Obed Tout d’abord, 121 millions sur sept ans pour des efforts coordonnés d’élimination de la tuberculose, qu’il s’agisse de campagnes de santé publique, de dépistage à l’échelle de la communauté, d’investissements dans la recherche pour améliorer les méthodes de dépistage de la tuberculose ou pour créer des traitements. Il s’agit là d’une pièce essentielle du puzzle. Nous avons également mis en place un programme de restauration scolaire pour que tous les Inuits qui sont dans le système éducatif aient des repas sains tous les jours. Il s’agit d’une demande sur dix ans et nous avons obtenu 0 $ pour cela dans le budget 2023. Nous savons également qu’il est essentiel d’investir dans le logement, car il s’agit d’une maladie liée à la pauvreté. Et si l’on associe la nutrition, le logement, le traitement actif de la tuberculose et la recherche qui permet de le faire le mieux possible, et que l’on fournit ensuite des services de santé, c’est cette équation qui va sans aucun doute faire baisser les taux de tuberculose dans nos communautés. Nous souhaitons toujours que le gouvernement nous accompagne dans la réalisation des objectifs d’élimination d’ici 2030. Il est encore temps pour le gouvernement d’agir et de faire plus. En fin de compte, il s’agit d’une crise de santé publique évitable. Nous savons comment traiter la tuberculose. La recherche, l’expérience vécue dans d’autres juridictions et les résultats montrent que c’est possible. La raison pour laquelle cela n’est pas appliqué dans l’Arctique canadien pour les Inuits reste un point d’interrogation. Est-ce du racisme ? Est-ce de l’indifférence ? Quand est-ce qu’une crise pour les Inuits est une crise pour le Canada ? Combien de fois faudrait-il multiplier le taux de tuberculose pour que le gouvernement fédéral fournisse sans équivoque les ressources nécessaires à l’élimination de cette maladie ? Faudrait-il que le taux soit 600 fois plus élevé ? Mille fois ? Ou faudrait-il qu’il y ait un moment politique où, et c’est très grossier de le dire ainsi, mais, qui doit mourir dans quel scénario pour que le gouvernement agisse ? En fin de compte, nous constatons, comme dans le cas de Joyce Echaquan et du racisme dans le système de santé, que les Canadiens et les politiciens agissent parfois parce qu’il y a une mort tragique de quelqu’un qui n’aurait pas dû mourir après des décennies de plaidoyer et de lobbying par des gens sur le même problème qui, tout à coup, motive les politiciens à faire quelque chose à ce sujet. En ce qui concerne la tuberculose, nous avons déjà vécu ces scénarios. Des jeunes gens meurent de la tuberculose dans nos communautés. Il y a eu des décès très médiatisés. Il est toujours très difficile pour moi, en tant que leader, d’essayer de comprendre ce que je fais de travers dans la façon dont je présente les choses, dans la façon dont je fais pression sur le gouvernement fédéral, parce qu’en fin de compte nous n’avons pas reçu le soutien dont nous avons besoin pour faire le travail nécessaire pour que nos communautés ne connaissent pas cette épidémie.

Dr Alika Lafontaine Si vous vous projetez dans 20 ans, quelle sera, selon vous, l’évolution de la tuberculose dans le Nord canadien ?

Natan Obed D’un côté, nous avons le meilleur scénario possible, c’est-à-dire que nous travaillons à la réduction de la pauvreté dans nos communautés. Nous travaillons sur la sécurité alimentaire. Pour que les enfants aient suffisamment à manger, pour que les membres de la communauté aient suffisamment à manger. Nous investissons également dans la résolution de la crise du logement afin de réduire notre taux de surpeuplement de 55 % à la moyenne canadienne, qui est d’environ 9 %. Pour ce faire, nous ne nous contentons pas de mettre en place des logements sociaux, mais nous créons des opportunités pour que les membres de la communauté puissent être propriétaires de leur logement et vivre dans le type de logement qui leur convient le mieux à l’étape de leur vie où ils se trouvent. Nous investissons également dans l’élimination de la tuberculose. Il s’agit d’identifier la tuberculose active et latente dans nos communautés et de fournir un traitement à ceux qui en sont atteints. Cela demande de l’argent, du temps et des efforts. Mais si nous voulons l’éliminer, c’est une partie de la solution. L’autre partie concerne le système de santé en général, qui doit offrir une meilleure santé publique et une meilleure prestation de soins de santé, ainsi qu’une prestation de soins de santé plus spécifique aux Inuits, afin que les Inuits adhèrent au système de santé et que nous ayons le sentiment qu’il est le nôtre et que nous n’entrons pas dans un autre espace étranger qui a fait tant de mal à notre famille immédiate et à nos proches, et qui nous a demandé d’entrer dans cet espace comme condition pour obtenir des soins. Voilà pour ce scénario. L’autre scénario est celui du statu quo des investissements des gouvernements, qui maintiennent nos taux de surpopulation à 55 %, nos taux d’insécurité alimentaire à environ 70 %, notre revenu médian à environ 23 000 ou 24 000 et qui continuent à investir de façon marginale dans la lutte contre la tuberculose. Et nous verrons probablement 300 à 500 fois la moyenne nationale pour la tuberculose devenir le statu quo dans les 20 prochaines années. La voie à suivre dépend vraiment de tous ceux qui sont chargés de s’occuper des citoyens de ces juridictions. C’est à moi, en tant que président de l’ITK, ainsi qu’aux responsables des revendications territoriales, qu’il incombe d’agir. Le gouvernement du Canada a certainement la responsabilité de veiller à ce que nous empruntions cette première voie et à ce que nous célébrions tous ensemble nos succès.

Dr Alika Lafontaine Une partie de ce succès implique de réconcilier le passé. Il ne suffit pas de traiter la tuberculose avec des médicaments. En 2019, la même année que les excuses du gouvernement, l’Initiative Nanilavut a été créée avec le gouvernement fédéral, l’ITK et quatre organisations inuites régionales. En inuktitut, Nanilavut signifie «retrouvons-les». Le projet aide les familles à retrouver les êtres chers disparus qui ne sont jamais rentrés chez eux après avoir été envoyés dans des sanatoriums du Sud. Nous devons nous souvenir, comprendre et partager les souvenirs et les histoires. Nous devons ramener la présence de ceux qui sont partis et les garder en vie. Afin d’éliminer véritablement la tuberculose et d’instaurer la confiance au sein du système de soins de santé, il faut guérir et tourner la page. Voici à nouveau Louasee Kuniliusee, le survivant de la tuberculose qui faisait partie d’un groupe d’anciens inuits revenus au sanatorium de Hamilton l’été dernier.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur En tant que véritable Inuk, je suis né. Je suis né dans un igloo.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Dans un igloo. Cette possibilité n’existait que parce qu’à l’époque, nous n’avions pas de logement.

Dr Alika Lafontaine Il se souvient à quel point Hamilton lui était étrangère.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Lorsque nous sommes arrivés ici, nous n’avions aucune connaissance des traditions occidentales.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Je suis très reconnaissant pour toute l’aide qui nous a été apportée.

Dr Alika Lafontaine Louassee est rentré chez lui, mais il a été changé, à la fois intérieurement et extérieurement.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Je suis ici aujourd’hui, mais la moitié de mon poumon a disparu.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Mon côté gauche n’a plus de poumon, mais j’ai un poumon du côté droit.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Lorsque nous sommes arrivés ici, je suis tombé très malade et ils ont dû m’enlever le poumon gauche.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur J’ai été opéré à Ottawa et je suis mort à ce moment-là.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Le médecin que j’avais est venu et il m’a dit que j’étais mort.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Il m’a serré dans ses bras et s’est mis à pleurer.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Le médecin m’a dit que c’est grâce à un miracle que je suis ici aujourd’hui.

Dr Alika Lafontaine Bien que le sanatorium lui-même ait disparu depuis longtemps, les souvenirs et la douleur demeurent. Cette visite est un pas de plus dans le long voyage qui nous attend vers la guérison, le rétablissement et la fin de l’histoire.

Aîné Louasee Kuniliusee [parlant inuktitut]

Traducteur Aujourd’hui, je suis à Hamilton parce que nos dieux m’ont sauvé.

Dr Alika Lafontaine L’éthique médicale est censée être ancrée dans la volonté de faire le bien et d’éviter le mal. Et si tous les professionnels de la santé, à un moment ou à un autre de leur carrière, causent des souffrances involontaires, il est de notre responsabilité de découvrir la souffrance involontaire, même si elle est bien cachée. Les bonnes intentions n’excusent pas les violations de l’éthique médicale. Une citation tirée des excuses présentées par le gouvernement canadien en 2019 le dit encore plus clairement,

[clip sonore] Justin Trudeau Cette politique n’était pas un accident. Elle était délibérée. Elle a été mise en œuvre même si le gouvernement du Canada connaissait les conséquences pour les familles inuites.

Dr Alika Lafontaine Cela continue…

[clip sonore] Justin Trudeau Aux personnes qui ont été envoyées dans le Sud. Nous sommes désolés. 

Dr Alika Lafontaine Si les excuses peuvent être le signe d’un nouveau départ, quatre ans plus tard, la crise de la tuberculose dans le Nord canadien se poursuit. La réconciliation est un mot d’action et les Inuits attendent toujours.

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