The Healthcare Divide – 4e épisode

Uninsured: How Universal is Canada’s Healthcare System?

Description

Hundreds of thousands of people are living in Canada without health coverage, according to one estimate. So what happens when those people get sick, or hurt, or pregnant? We touch down at Doctors of the World’s Montreal clinic, to get an idea of what it’s like for migrants living in Canada without health insurance. 

Invités

Penelope Boudreault, Directrice des opérations nationales et du développement stratégique, Médecins du Monde Canada

Thatiana Hernandez

Dr Baijayanta Mukhopadhyay, médecin de famille et auteur

Transcription

The Healthcare Divide, traduction de la transcription du balado

4e épisode – Uninsured: How Universal is Canada’s Healthcare System?

Thatiana Hernandez (via traducteur) Mon mari et moi avons cherché sur Marketplace et pour 30 dollars nous avons trouvé un moniteur cardiaque pour pouvoir écouter notre bébé. Si je ne pouvais pas faire d’échographie, je voulais savoir que le bébé allait bien et que son cœur battait.

Dr Alika Lafontaine Le système de santé canadien devrait offrir un accès égal à tous. Mais en réalité, c’est un système de nantis et de démunis. Je m’adresse aux personnes qui ont vécu les inégalités de première main et à celles qui s’efforcent d’apporter des changements. 

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Un système de santé qui fonctionne pour les plus vulnérables est un système de santé qui fonctionnera pour tout le monde.

Dr Alika Lafontaine Dans cet épisode, nous remettrons en question une croyance de nombreux Canadiens : celle que le système de santé du Canada est universel. Nous explorerons les obstacles auxquels les migrants et les réfugiés sont confrontés lorsqu’ils veulent accéder aux soins, et nous verrons comment de nombreuses personnes finissent par ne pas y avoir accès du tout.

Je suis le Dr Alika Lafontaine, anesthésiste et premier médecin autochtone à avoir dirigé l’Association médicale canadienne. La Fondation canadienne des relations raciales nous présente The Healthcare Divide.

Il y a environ 17 ans, Penelope Boudreault a commencé à travailler avec Médecins du monde à Montréal. L’organisation fournit des soins de santé aux personnes touchées par l’inégalité sociale ou vivant dans des situations vulnérables. À l’époque, elle ne se concentrait pas sur les migrants.

Pénélope Boudreault J’ai commencé en tant qu’infirmière dans la rue, donc du travail de proximité, aller au contact et, bien, aller au contact d’une population qui vivait dans la rue, qui consommait de la drogue, qui travaillait dans l’industrie du sexe. Donc toutes les personnes qui n’avaient pas accès aux services de santé ou un accès qui était difficile ou qui n’était pas adapté à leur réalité. Nous avions l’habitude de travailler avec des populations qui vivaient dans la rue, qui avaient des difficultés à accéder au système, mais on leur permettait d’avoir accès au système. Ils avaient donc accès à la RAMQ. La carte était parfois perdue, non renouvelée, ils ne voulaient pas y aller, ils ne se sentaient pas les bienvenus dans le système, mais ils pouvaient y aller.

Dr Alika Lafontaine RAMQ est le régime public d’assurance maladie du Québec. Après quelques années de travail, Pénélope a commencé à voir des personnes dans une situation différente venir lui demander de l’aide.

Pénélope Boudreault Vers 2009, des personnes sans papiers sont venues me voir dans la rue avec mon sac à dos. J’avais l’habitude de faire des dépistages d’IST ou de soigner des blessures causées par la vie dans la rue. Mais la réalité des personnes migrantes qui venaient me voir était vraiment différente. Elles souffraient de nombreuses maladies chroniques. Elles étaient enceintes. Elles avaient des difficultés mentales liées à la réalité de la procédure d’immigration. Leurs besoins étaient donc bien plus importants que ce que nous pouvions offrir chez Médecins du monde à l’époque.

Dr Alika Lafontaine L’accès aux soins de santé n’est qu’un des nombreux problèmes auxquels les migrants sont confrontés. Celui-ci fait partie d’un réseau complexe d’obstacles pouvant inclure des problèmes graves tels que l’exploitation, le manque de sécurité culturelle, la discrimination et la violence sur le lieu de travail. Conscients de leur besoin de soutien, Penelope et ses pairs ont cherché des conseils. 

Penelope Boudreault Et tout le monde nous a dit : vous êtes des infirmières, vous êtes des médecins. S’il vous plaît, offrez des services de soins de santé.

Dr Alika Lafontaine Au Canada, les réfugiés réinstallés, les demandeurs d’asile et certains autres groupes peuvent bénéficier d’une couverture médicale temporaire dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). Mais il se peut qu’ils ne sachent pas qu’ils y ont droit ou qu’ils aient du mal à accéder aux soins pour d’autres raisons : barrières linguistiques, discrimination ou simplement manque de connaissances sur le fonctionnement du système. Et ce n’est pas seulement le cas du côté des patients. Une enquête réalisée en 2016 a révélé que 39 % des professionnels de la santé étaient incapables de répondre correctement à une seule question sur le programme. Des études ont également montré que certaines cliniques n’acceptent pas les patients couverts par le PFSI en raison des formalités administratives requises pour être remboursé. Les personnes sans papiers ne sont pas du tout éligibles.

Penelope Boudreault Nous avons donc lancé la première clinique et elle était un peu cachée parce que nous avions peur de l’immigration. Nous avions peur de nous adresser à des gens qui n’avaient pas de documents ou qui n’avaient pas de situation ici et qui pourraient être examinés par les services d’immigration, et nous ne voulions pas leur causer des problèmes. Nous avons donc loué une clinique en dehors des heures d’ouverture, la nuit, et nous avons vu des gens. Ils nous appelaient. Puis nous prenions rendez-vous et nous ne parlions pas de la clinique.

Dr Alika Lafontaine Vous savez, en vous écoutant, je me dis qu’en tant que Canadiens, nous pensons parfois que nous sommes tellement différents des problèmes d’immigration aux États-Unis. Nous pensons que, dans le Sud, les gens sont rassemblés s’ils n’ont pas de papiers ou d’autres choses et qu’ils sont expulsés du pays. Mais nous avons une approche de l’immigration beaucoup plus humaine. Mais il semble que ces mêmes craintes existent pour les personnes qui ont besoin de soins de santé.

Penelope Boudreault Nous pensons que nous sommes une terre ouverte à l’immigration. C’est le cas à certains égards. Mais le processus est si long et si compliqué que rien que le processus rend les gens vulnérables parce qu’il faut tellement de temps pour obtenir des papiers. Et à ce moment-là, il n’y a pas beaucoup de statuts que l’on peut avoir. Au cours de ces années, j’ai entendu dire que tous ceux qui ont besoin de soins de santé au Québec sont autorisés à se rendre à l’hôpital. C’est possible, mais il faut avoir de l’argent pour payer. Et vous n’entrerez pas à l’hôpital si vous n’avez pas au moins, juste pour passer le triage à l’entrée de l’urgence, vous avez besoin de 500 $, 600 $. Ce n’est donc pas accessible. La réalité, c’est que nous avons des gens qui arrivent à Montréal. La majorité d’entre eux n’ont pas franchi la frontière. La majorité d’entre eux sont arrivés au Québec avec un statut, avec un papier. Mais lorsqu’ils essaient de modifier leur statut, cela prend tellement de temps qu’ils peuvent passer entre les mailles du filet. Et s’ils tombent malades, ils ont des problèmes parce qu’ils n’ont pas accès et que c’est trop cher.

Dr Alika Lafontaine La clinique de Médecins du Monde à Montréal n’est plus un secret. Elle offre des heures d’ouverture hebdomadaires sans rendez-vous et fait ouvertement la promotion de ses services. Ils sont également de fervents défenseurs d’un meilleur accès aux soins de santé.

Dr Alika Lafontaine Qu’est-ce qui a changé pour que les soins que vous fournissez sortent de ces endroits cachés et, vous savez, prennent la place que vous occupez actuellement où, lorsque vous parlez de la santé des migrants, vous savez, votre voix est presque toujours présente à la table ?

Penelope Boudreault Je pense que, pour une fois, c’est la notoriété. Parce que maintenant personne ne connaît, comme, beaucoup de gens et nous reconnaissent, la santé publique et nous obtenons de l’argent pour faire ce que nous faisons en ce moment. Donc la réalité et les besoins sont reconnus. Il était donc normal pour nous de ne pas être un simple prestataire de soins, car nous avons également réalisé que nous ne pourrions pas répondre à tout le monde. Nous devons donc participer à la transformation du système. Et puis, avec les pairs qui sont passés par là, nous sommes plus forts et capables de parler de la réalité et d’apporter des changements. Je me souviens du jour où nous nous sommes dit que si les services d’immigration venaient à la clinique, si la police venait à la clinique, nous irions dans les médias et nous parlerions de la réalité de ces personnes qui vivent à Montréal sans aucun service. Et le mieux que nous puissions faire, c’est de venir les chercher lorsqu’ils sont malades et de les mettre en prison ? Ce n’est pas très reluisant.

Dr Alika Lafontaine Les gens viennent à Médecins du Monde pour toutes sortes de raisons. Comme l’a dit Penelope, certains sont sans papiers, mais d’autres ont d’autres obstacles à surmonter pour accéder aux soins de santé.

Thatiana Hernandez Mon nom est Thatiana Hernandez, comme vous le savez. Yo soy Colombiana… [fondu enchaîné]

Dr Alika Lafontaine Voici Thatiana Hernandez. Elle nous parle par l’intermédiaire d’un interprète.

Thatiana Hernandez (via traducteur) Je ne parle pas français, je parle anglais. Mais pour une entrevue comme celle-ci, je ne me sens pas confiante en tant qu’experte. J’ai deux personnalités. En espagnol, c’est une personnalité merveilleuse et vivante. Et en anglais, je suis très timide.

Dr Alika Lafontaine Thatiana est venue de Colombie au Canada avec son mari et sa fille de trois ans, parce qu’ils craignaient pour leur sécurité physique.

Thatiana Hernandez (via traducteur) Nous avions une entreprise familiale qui gérait des restaurants dans la belle ville de Bucaramanga. Nous sommes venus au Canada pour des raisons de sécurité. Nous avons vécu ce que l’on appelle en Colombie le fleteo, c’est-à-dire le fait d’être suivis. Ils ont déterminé que nous manipulions de l’argent liquide et nous ont menacés d’attaques si l’argent n’était pas remis. En raison des risques qui pèsent sur nos vies, nous avons décidé de chercher d’autres opportunités. Nous attendions beaucoup du Canada. Nous pensions que c’était un endroit idéal pour élever une famille. Nous étions au courant du froid et nous pensions que cela pourrait être un obstacle, mais nous voulions aller de l’avant. Nous n’avions pas beaucoup d’informations sur la santé et l’éducation, mais nous pensions que nous ne rencontrerions pas de problèmes en tant qu’immigrants. 

Dr Alika Lafontaine Thatiana est venue au Canada avec un visa d’étudiant, ce qui l’obligeait à souscrire une assurance maladie privée.

Thatiana Hernandez (via traducteur) J’avais une assurance privée à l’époque, mais elle ne couvrait que les urgences. Il était très difficile de prouver qu’il s’agissait d’une urgence. De plus, vous deviez payer à l’avance, puis prouver qu’il s’agissait d’une urgence et ils vous remboursaient. Donc, si vous n’aviez pas l’argent à l’avance, vous ne pouviez pas accéder aux soins.

Dr Alika Lafontaine Peu de temps après son arrivée, elle a découvert qu’elle était enceinte. 

Thatiana Hernandez (via traducteur) Je ne me sentais pas bien. Je pense que c’était dû au premier mois de ma grossesse. J’ai donc demandé à Carlos de me faire un test de grossesse. J’ai découvert que j’étais enceinte grâce à un test de grossesse à domicile, et j’ai su que j’avais besoin de soins continus tout au long de ma grossesse. Dans mon pays, lorsque vous êtes enceinte, vous allez chez le médecin tous les mois pendant toute la durée de votre grossesse. On l’appelle, on prend rendez-vous et on obtient très facilement des réponses à ses questions. J’ai donc consulté une amie pour savoir comment procéder ici, et elle m’a dit que l’assurance ne me couvrirait pas avant 12 semaines de grossesse. Je ne savais pas quand j’atteindrais 12 semaines de grossesse. Et comment pouvais-je le savoir sans voir un médecin ? Plus tard dans la grossesse, j’ai remarqué des saignements qui m’ont inquiétée et, après avoir consulté mon mari, nous avons décidé d’aller aux urgences de l’hôpital Lasalle. À cause d’Omicron, mon mari ne pouvait pas m’accompagner, alors il est resté dans le stationnement avec ma fille et je suis entrée avec mon masque et tout le reste au service de triage. On m’a pris la tension artérielle. Ils ont pris mes signes vitaux. Puis ils m’ont envoyée à la comptabilité. C’est là que j’ai appris qu’une consultation me coûterait 1 700 dollars. Je suis donc partie parce que je n’avais pas d’argent. Je me souviens d’avoir été dans ma cuisine et de m’être effondrée. Je ne savais pas si je perdais mon bébé ou si j’étais malade. J’en ai parlé à Carlos, et il m’a dit qu’avec 1 700 dollars, on pouvait aller en Colombie, se faire examiner, faire des tests et revenir en avion. Ce serait de la folie de dépenser 1 700 dollars pour une hémorragie. Nous ne pouvions pas dépenser une telle somme. Je me suis donc renseignée et les gens m’ont dit d’exagérer l’état de santé à l’hôpital pour que je sois soignée, puis de convenir d’un plan de paiement avec eux. Mais je ne voulais pas m’endetter lourdement auprès de l’hôpital. Je voulais simplement que ma grossesse soit suivie dans la dignité et je voulais savoir à combien de semaines j’en étais. Mon mari et moi avons donc cherché sur Marketplace et, pour 30 dollars, nous avons trouvé un moniteur cardiaque qui nous permettait d’écouter notre bébé. Si je n’allais pas faire d’échographie, je voulais savoir que le bébé allait bien et que son cœur battait.

Dr Alika Lafontaine C’est alors qu’une amie lui parle de Médecins du Monde. Elle a appelé la clinique.

Thatiana Hernandez (via traducteur) J’ai dit que je voulais parler à quelqu’un en espagnol et une charmante Mexicaine m’a aidée au téléphone. Elle m’a mise en relation avec une assistante sociale qui communiquait avec moi via WhatsApp. Elle s’appelait Morgan et c’est la première personne qui m’a vraiment fait sentir que ma grossesse et mon bébé avaient de l’importance. J’ai fini par obtenir un rendez-vous avec un médecin bénévole et, par l’intermédiaire de Morgan sur WhatsApp et du médecin, ils me demandaient sans cesse le soir dans leurs textos : Comment va votre bébé ? Et ils ont fixé mon premier rendez-vous. 

Dr Alika Lafontaine Lorsqu’elle a accouché, elle venait d’obtenir son diplôme, ce qui lui permettait de bénéficier d’un permis de travail postuniversitaire… et d’être affiliée au régime public d’assurance maladie du Québec.

Thatiana Hernandez (via traducteur) Mais le processus d’obtention d’un permis de travail postuniversitaire et de la carte d’assurance maladie est un processus fastidieux qui prend environ quatre mois. Et je courais contre la montre.

Dr Alika Lafontaine Médecins du monde l’a aidée dans ses démarches.

Thatiana Hernandez (via traducteur) Après plusieurs appels, quelqu’un a pu me déclarer prioritaire et me prendre en charge. Mais les bébés sont censés arriver après 40 semaines, et mon bébé est arrivé après 41 semaines et un jour.

Dr Alika Lafontaine Sa carte de santé est arrivée un jeudi. Le bébé est arrivé le samedi.

Thatiana Hernandez (via traducteur) Tout s’est donc passé au moment prévu. Je pense que c’était un grand cadeau pour moi. Cela m’a permis d’accoucher dans le calme. Après l’accouchement, j’ai reçu une facture que je n’étais pas tenue de payer et qui aurait coûté 12 000 dollars.

Dr Alika Lafontaine De nombreux détails de l’histoire de Thatiana – l’incertitude, la barrière de la langue, le stress d’être refusé par un hôpital dans un moment de désespoir – sont partagés par d’autres. Mais pour ceux qui n’ont pas de statut, il y a aussi la peur de l’expulsion. Penelope entend cela tout le temps.

Pénélope Boudreault Nous avons suivi des femmes enceintes. Jusqu’à la fin, même si nous savons que leur situation est vraiment difficile et qu’elles ont du mal à manger, parfois elles ne nous le disent même pas parce qu’elles ont peur que quelqu’un prenne leur enfant. Ils ont peur que quelqu’un vienne inspecter leur maison. Ils ne savent pas et n’ont pas confiance. Nous devons donc comprendre et être vraiment ouverts pour recevoir et attendre que les gens soient prêts à en parler. À Médecins du monde, nous rencontrons les mêmes problèmes que dans n’importe quelle clinique sans rendez-vous. Il y a donc beaucoup de maladies chroniques. Comme les gens n’ont pas accès aux soins de prévention, ce sont des maladies qui se développent, comme le diabète, l’hypertension artérielle, mais cela dure depuis des années. En réalité, lorsqu’ils viennent nous voir, c’est parce qu’ils se sentent vraiment mal, parce qu’ils ont un réel besoin auquel ils doivent répondre.

Dr Alika Lafontaine Il semble donc qu’il y ait beaucoup de problèmes cachés à cause des situations dans lesquelles ces personnes se trouvent. À votre avis, quelle est la part de la demande qui est réellement cachée ? Je veux dire que depuis l’ouverture de la clinique, vous avez probablement eu un afflux de personnes qui accèdent aux services. Mais à votre avis, quels sont les besoins les plus criants ?

Penelope Boudreault Je pense que le besoin réel est énorme parce que nous sommes de très petites cliniques. Deux infirmières, deux travailleurs sociaux. Et nous avons, comme en ce moment, un triage par téléphone. Nous recevons 40, 50, 60 appels téléphoniques, peut-être plus, car certaines personnes ne sont pas admissibles à nos services. Beaucoup d’entre eux sont des demandeurs d’asile, ils ont donc accès au système. Notre travail consiste donc à leur dire qu’ils ont accès au système. L’accès n’est pas parfait, mais vous avez accès aux services de santé. Disons que 20 à 30 % d’entre eux sont admissibles à nos services. Et puis nous avons une clinique sans rendez-vous le jeudi. Ici, il y aura peut-être 30 ou 40 personnes qui se présenteront à la porte. Et nous pourrions en voir 10 ou 12. Nous ne pouvons donc pas recevoir les autres. Et il ne s’agit que des personnes qui viennent chez nous. Et même pour les personnes qui viennent à la clinique, nous n’avons pas accès à beaucoup de choses, si nous parlons de cancer, nous ne faisons pas de chirurgie ici. Donc, même s’ils ont accès à Médecins du monde, nous ne pouvons pas tout prendre en charge.

Dr Alika Lafontaine Prenons le cas des patients qui n’ont pas accès à vos services et qui doivent payer de leur poche quelque part. Pour ces personnes, combien coûte un examen de base ?

Pénélope Boudreault C’est très cher. Dans beaucoup d’endroits, ils ne pourront pas y aller de toute façon parce que certaines cliniques n’acceptent tout simplement pas de voir les gens qui n’ont pas de carte ou qui n’ont pas de médecin dans la clinique. C’est difficile pour la population, et pour toute la population, d’avoir accès à un médecin. Et si vous n’avez pas de RAMQ ou de couverture pour les demandeurs d’asile, c’est encore plus difficile. Souvent, ils doivent aller à l’urgence, ce qui leur coûte 400, 500, 600 $, juste pour y entrer. Ensuite, ils voient le médecin et tout ce qu’ils doivent faire, les tests sanguins, les examens, ils doivent payer avant. Si ce n’est pas une ambulance qui vous amène aux urgences parce que vous avez eu un accident de voiture et que vous ne parlez plus, alors vous bénéficierez des services avant. Mais si vous entrez dans l’hôpital, vous devrez payer avant d’obtenir les services.

Dr Alika Lafontaine Il y a une exception pour les enfants. En septembre 2021, avec l’aide de Médecins du monde, une nouvelle loi a été adoptée au Québec pour permettre aux enfants dont les parents ont un statut migratoire précaire d’accéder aux soins de santé.

Pénélope Boudreault C’est nouveau. Avant cela, même les enfants n’avaient pas accès aux services de santé. Beaucoup de familles m’ont dit : mon enfant a de la fièvre. Cela fait deux ou trois jours. Les médicaments ne fonctionnent pas. Il fait 40° de fièvre et j’ai vraiment peur. Que dois-je faire ? Je veux que mon enfant aille mieux, mais je dois décider si je paie 400 ou 500 dollars juste pour voir le médecin et que ce n’est rien. Et je n’ai plus d’argent pour nourrir mon enfant. C’est la réalité de beaucoup d’immigrants ici à Montréal. 

Dr Alika Lafontaine Y a-t-il des histoires de patients qui vous ont marquée au fil des ans ?

Pénélope Boudreault Il y en a tellement. Je me souviens, mais c’est il y a longtemps, quand je travaillais dans les rues et que nous avons eu cette première histoire en 2009, l’homme est venu me voir et il était genre, tout cassé avec les os brisés et tout et il a dit, je ne peux pas avoir accès au suivi à l’hôpital parce que c’est trop cher. Je lui ai alors demandé ce qui s’était passé. Il travaillait sur un chantier et il est tombé. Il était tout cassé. Il m’a dit qu’il se souvenait avoir été dans une sorte de coma, mais qu’il avait entendu les infirmières et le médecin marcher autour de lui et dire qu’il devrait être mort. Nous ne comprenons pas comment il a pu survivre à cela. Il est tout cassé. Il coûte des milliers de dollars, environ 10 000 dollars par jour, à l’hôpital. Il ne pourra jamais payer pour ça. Et il entendait ça. Et puis, quand il s’est réveillé du coma, il a dit que, dès qu’ils ont pu, c’était il y a longtemps mais quand même, ils l’ont sorti de l’hôpital sans aucun suivi, rien. Et puis je vois cet homme dans la rue, qui dit qu’il veut vivre, qu’il veut continuer, mais qu’est-ce qu’il va faire de sa situation ? Il n’a pas accès à des services qui l’aideraient à aller mieux. Comment va-t-il travailler dans cette situation ? 

Dr Alika Lafontaine Les gouvernements du Canada ont suspendu une grande partie des approches centrées sur le système qui, à mon avis, rendaient la vie plus difficile aux patients comme les migrants précaires. Lorsque vous étiez au cœur de la pandémie, y a-t-il eu des changements qui ont facilité l’accès aux soins pour les patients ?

Penelope Boudreault Malheureusement, non. La réalité de la population était plus difficile. Ils avaient des emplois. Ils les ont perdus. Ils avaient un emploi le soir. Puis il y a eu le couvre-feu. Les gens se cachaient pour être sûrs de ne pas être recherchés ou trouvés par la police. Et puis nous avons eu le gouvernement qui disait : si c’est lié au COVID, les gens peuvent être soignés. Donc, si vous avez le COVID, vous pouvez aller aux urgences ou à l’hôpital et vous recevrez les soins dont vous avez besoin. Mais de nombreuses personnes ont dû prouver que c’était bien cela, ce qui n’a pas été facile non plus. La situation, la réalité, avec le loyer, le travail, l’argent, la nourriture, les gens avaient peur parce qu’ils ne voulaient pas tomber malades. Si vous tombez malade à cause de COVID, vous n’avez pas accès aux services de santé, même si, sur papier, COVID était couvert, mais ce n’était pas comme ça, ce n’était jamais aussi facile. Même pour avoir accès à la vaccination, c’était compliqué. Nous avons essayé d’avoir une carte parce qu’il fallait alors s’identifier. Et puis avoir des papiers pour quelqu’un qui a des problèmes d’immigration, c’est compliqué. C’était donc encore plus difficile.

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Je veux dire que je pense que l’ensemble du système de santé est en difficulté. Un système de santé qui fonctionne pour les plus vulnérables est un système de santé qui fonctionnera pour tout le monde.

Dr Alika Lafontaine Voici le Dr Baijayanta Mukhopadhyay.

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Je suis un médecin de famille qui travaille principalement, depuis dix ans, dans l’Eeyou Istchee, c’est-à-dire les territoires cris de la baie James dans le nord du Québec, dans ce qu’on appelle le nord du Québec. Il y a aussi les territoires du Traité 3 et du Traité 9 dans le nord de l’Ontario. Je travaille avec des personnes sans papiers, des migrants au statut précaire, des jeunes queers et trans dans la ville, ainsi qu’avec des personnes non logées dans la ville. Je pense que c’est l’une des choses qui, en particulier dans les conversations de ces dernières années, lorsque nous réfléchissons davantage aux structures, aux processus et aux dynamiques sociales qui affectent l’accès des personnes aux soins, est une chose que j’ai vraiment envie de dire aux gens, parce que les gens se perdent souvent dans le » oh, mais j’ai eu tellement de mal à voir mon médecin, mais j’ai eu tellement de mal avec ce processus et le temps d’attente a été si long «. Et je pense que je veux vraiment dire aux gens que si le système fonctionne pour les personnes qui n’ont aucun accès à une quelconque forme de soutien social, cela signifie probablement que vous vous en sortirez. Vous savez, du haut de vos privilèges, vous vous en sortiriez probablement parce que le système est capable de s’occuper de ceux qui n’en ont pas. Et c’est quelque chose que j’ai l’impression que nous avons un peu perdu après les premières vagues de COVID-19. Je pense que nous avons peut-être un peu perdu cette perspective.

Dr Alika Lafontaine En 2017, le Dr Mukhopadhyay a écrit un essai pour CBC intitulé «En tant que médecin, je dénonce le bluff du Canada sur, entre guillemets, les soins de santé «universels».»

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Je pense que nous avons ce mythe au Canada que, oh, bien. Le problème est résolu. Nous avons résolu ce problème. Pour la plupart des gens, ce n’est pas vrai. Vous savez, beaucoup de soins de santé dont nous avons besoin, comme nos dents, par exemple, nos yeux, pour pouvoir voir, ne sont pas couverts. C’est une chose. Mais pour les soins médicaux, dont la plupart d’entre nous supposent qu’ils sont couverts, que nous n’avons pas à payer pour voir un médecin, qu’il n’y a pas d’obstacle financier à la consultation d’un médecin. Ce n’est pas vrai. Nous disposons d’un système d’assurance maladie publique universelle. Nous n’avons pas de service de santé universel. Un système d’assurance implique que l’on soit assuré, que l’on ait accès à l’assurance. Or, au Canada, nous avons décidé qu’il fallait présenter certains documents pour pouvoir bénéficier de cette assurance. Il s’agit souvent d’un document de citoyenneté, soit un certificat de naissance, soit un document attestant que vous êtes citoyen, un certificat de naturalisation ou un certain type de visa. C’est ainsi que nous avons décidé qui avait accès ou non aux soins de santé. Cela ne veut pas dire que tout le monde dans ce pays a accès aux soins de santé, et surtout que notre système de migration pousse les gens vers de plus en plus de précarité, nous nous dirigeons vers des formes temporaires de migration, nous poussons de plus en plus de gens dans ces situations sociales précaires où ils n’ont pas forcément accès aux soins de santé. Et il y a certainement un grand nombre de personnes sans papiers, des personnes qui se retrouvent dans le pays, mais qui n’ont pas les papiers pour dire qu’elles peuvent vivre dans ce pays et qui n’ont pas accès aux soins de santé.

Dr Alika Lafontaine J’imagine que les gens pensent immédiatement qu’il s’agit de personnes qui sont entrées clandestinement dans le pays. Vous savez, des gens qui sont ici illégalement. Avant de reparler de l’accès, que se passe-t-il en réalité ? Qui sont ces personnes ? Comment se sont-ils retrouvés dans cette situation ? Comment en sont-elles arrivées à un point où elles n’ont plus accès au financement de leurs soins de santé par le biais des mécanismes gouvernementaux ?

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Il y a toute une série d’histoires, il y a toute une série de parcours pour être sans papiers. L’une des voies les plus courantes consiste à demander le statut de réfugié dans le pays et, au fur et à mesure que le statut de réfugié passe par tous les tribunaux et les cours de justice, ils finissent par avoir une vie ici. Ils finissent par travailler, aller à l’école, rencontrer des partenaires, avoir des enfants. Et finalement, un jour, un organisme gouvernemental décide qu’en fait, non, vous ne pouvez pas rester ici. À ce moment-là, leur vie est ici, et les gens finissent par ne plus partir. Dans d’autres cas, il s’agit de personnes titulaires d’une sorte de visa de migrant temporaire. Les complications liées au type de visa dont vous bénéficiez, l’accès aux services sociaux dont vous pouvez bénéficier, peuvent être très difficiles à déchiffrer. Et parfois, ils dépendent de votre statut professionnel. Si vous changez d’employeur, si vous quittez votre emploi, vous perdez l’accès à toute une série de prestations. Il y a donc toute une série de façons dont les gens se retrouvent dans ces situations. En général, il ne s’agit pas d’un acte criminel. Et même pour les personnes qui entrent dans un pays sans autorisation, ce n’est pas un acte criminel, vous savez ? Et je pense que les personnes qui fuient pour se sentir en sécurité, qui fuient la violence sous toutes ses formes, y compris les formes structurelles de violence, ce n’est pas un crime de vouloir se protéger. Et je pense qu’il est vraiment important de le souligner dans ces conversations.

Dr Alika Lafontaine Vous êtes donc l’un de ces patients qui sait ou n’a pas encore réalisé qu’il n’est pas couvert par une assurance et vous vous présentez à l’hôpital ou dans une clinique pour recevoir des soins pour quelque chose dont vous pensez avoir besoin.

Pouvez-vous nous présenter, vous savez, quelques scénarios différents, peut-être un scénario dans lequel vous vous présentez avec quelque chose d’assez sérieux. Vous avez des douleurs thoraciques et vous êtes peut-être en train de faire une crise cardiaque ou quelque chose comme ça. Ou bien vous présentez quelque chose d’un peu plus courant, mais qui ne met pas votre vie en danger. Beaucoup de patients au Canada souffrent de douleurs à la hanche ou au genou ou d’autres choses qui pourraient mener à quelque chose de beaucoup plus néfaste. En quoi ces expériences ont-elles été différentes lorsqu’ils ont navigué dans le système de soins de santé ?

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Si vous vous présentez dans une clinique, une clinique sans rendez-vous, disons, parce que vous avez mal au genou, il est peu probable que vous franchissiez la porte, en fait, parce que dès le départ, on vous demandera probablement votre carte d’assurance maladie provinciale ou si vous êtes un demandeur d’asile fédéral. Si la clinique le sait, et certaines cliniques ne le savent pas, on vous demandera votre carte d’assurance maladie de réfugié fédéral. Si vous n’avez ni l’un ni l’autre, vous n’obtiendrez pas de rendez-vous, vous ne serez pas reçu. On vous dira peut-être que si vous nous versez une certaine somme d’argent, vous pourrez voir le médecin. C’est en fait la solution la plus facile, car s’il ne s’agit pas d’un problème de vie ou d’une urgence immédiate, vous ne pourrez probablement pas le faire si vous n’avez pas d’argent disponible. Pour une urgence, c’est un peu différent. Les services d’urgence ont l’obligation de traiter toute personne qui se présente, même si elle n’est pas en mesure de payer immédiatement ou si ses soins ne sont pas couverts immédiatement. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est en principe ainsi que cela doit fonctionner et la plupart des services d’urgence s’y conforment. Mais il est très probable que, si vous souffrez de douleurs thoraciques et que vous finissez par avoir une crise cardiaque et que vous êtes admis à l’hôpital pour quelques jours, il est très probable que vous recevrez une facture de l’hôpital par la suite. Les gens en sont conscients. C’est pourquoi la crainte de recevoir une facture empêche souvent les gens de se rendre aux urgences, ce qui a bien sûr des conséquences désastreuses sur leur santé. Je pense que ce qui me frappe le plus, et ce qui est vraiment difficile parfois, c’est de se dire que si seulement on était venu plus tôt. Les histoires qui me viennent le plus à l’esprit ne sont même pas du genre «oh, eh bien, vous auriez vécu plus longtemps» ou quelque chose comme ça. C’est juste l’ampleur de la souffrance. La durée de la souffrance. C’est vraiment difficile à avaler pour les cliniciens. Comme pour n’importe qui d’autre.

Dr Alika Lafontaine Nous savons tous les deux, et tous ceux qui ont travaillé dans le secteur de la santé le savent, que la bonne volonté n’est pas un modèle durable pour les soins de santé, vous savez ? Comment redéfinir ce qui se passe en tant que prestataire ? Au-delà du simple financement de tous les sans-papiers. Vous savez, vous parlez de beaucoup de choses qui, je pense, sont des leçons que nous pourrions tirer du traitement des patients en général.

Dr Baijayanta Mukhopadhyay Pour être clair, je pense que financer les soins de santé de tout le monde est une chose importante ! Mais au-delà de cela, il est parfois difficile d’articuler, comme… parfois c’est un sentiment et il est difficile d’articuler ce sentiment. L’une des choses qui me semble vraiment importante au Canada, et je pense avoir lu des critiques à ce sujet dans divers endroits, c’est que nous avons un modèle de soins tellement institutionnel. Cela fait partie des perversités de nos mécanismes de financement, où beaucoup d’argent est canalisé vers les hôpitaux parce que c’est ainsi que fonctionne notre système d’assurance maladie, ou même parce que nous devons nous rendre dans une clinique médicale pour obtenir des soins. Il me semble que nous pourrions envisager de redéfinir ou de réimaginer les soins et de les considérer comme quelque chose qui se passe davantage dans les quartiers. Dans les premiers jours du COVID-19, on a beaucoup réfléchi à ce que cela pouvait donner pendant que les gens étaient enfermés, en se demandant comment s’assurer que les gens de notre quartier étaient réellement pris en charge. Et je pense que c’est très différent de l’idée que, pour obtenir des soins, je dois aller dans ce grand bâtiment effrayant qui a beaucoup d’éclairage fluorescent, qui sent bizarre et dont les gens ne parlent peut-être pas ma langue.

Dr Alika Lafontaine Si vous cherchez à recadrer la façon dont les gouvernements et peut-être même les Canadiens perçoivent toute cette question, quel est, selon vous, le message le plus important à faire passer et auquel nous ne prêtons peut-être pas attention en ce moment ?

Dr Baijayanta Mukhopadhyay La croyance selon laquelle notre système de santé est intrinsèquement magnanime et généreux est tout simplement fausse. Ce n’est pas ainsi qu’il fonctionne. Et il a été un outil de contrôle colonial. Il a fait progresser le contrôle colonial rien que sur ces terres et ces territoires. C’est donc une chose, et le fait est qu’il est possible d’imaginer d’autres systèmes, comme des pays tels que l’Espagne, par exemple, qui ont décidé que les personnes sans papiers n’auraient pas accès aux soins. Puis, quelques années plus tard, ils sont revenus sur cette décision en disant qu’en fait, cela ne fonctionnait pas. Il est donc possible de prendre des décisions différentes. Au Royaume-Uni, avant que des décennies d’austérité n’aient décimé le service national de santé, vous pouviez obtenir des soins. Peu importe votre statut au Royaume-Uni. Et vous pouvez toujours y avoir accès. Si je ne me trompe pas, vous pouvez toujours consulter votre médecin de famille si vous êtes sans papiers au Royaume-Uni. Il n’est donc pas si radical de penser à quelque chose de différent.

Dr Alika Lafontaine Du point de vue de Pénélope, le succès signifierait que Médecins du monde pourrait fermer sa clinique.

Pénélope Boudreault C’était un objectif depuis le début. Au cours de ces années, je disais que nous travaillions à disparaître. Nous ne voulons pas être un système en dehors du système. Les soins, les services de santé sont meilleurs dans le système, mais il y a 17 ans, je dois admettre que je ne sais pas. Il y a tellement de choses qui doivent changer et les fissures sont grandes et quand nous allons commencer à voir des gens qui ont besoin, oui, le migrant avec un statut précaire, mais les gens qui vivent dans la rue, les gens qui consomment des drogues, les Autochtones dans les rues de Montréal qui n’ont pas accès à de vrais services de soins, ou s’ils y ont accès, ils sont confrontés au racisme, à la discrimination. C’est une raison de plus pour ne pas s’adresser au système et ne pas obtenir les services de santé auxquels on a droit. Je pense que nous devons nous en rendre compte. Il y a beaucoup de choses à changer dans le système pour s’assurer que tout le monde y a accès. Il faut donc changer radicalement l’état d’esprit à l’égard des migrants, ne pas les considérer comme des personnes qui veulent venir ici et utiliser leurs services. S’ils pouvaient avoir leur permis de travail et payer leurs impôts et tout le reste, ils le feraient. C’est simplement le système, le système d’immigration qui les met dans cette situation. Et nous sommes un pays riche. Nous sommes en mesure d’accueillir des personnes qui font leur vie ici. Mais si nous leur rendons la vie plus facile, leur arrivée est tellement compliquée. Nous les plaçons dans une situation vulnérable.

Dr Alika Lafontaine Aujourd’hui, par rapport à ce que vous étiez en 2009, avez-vous plus ou moins d’espoir que les choses se soient améliorées ?

Pénélope Boudreault Ça dépend des jours. Parfois, il est difficile de ne pas voir que les choses empirent et que le système ne s’améliore pas. Il ne traite pas mieux les gens. Et il y a toujours plus de gens qui n’ont pas accès ou qui n’ont pas leurs droits ou qui ne sont pas respectés. C’est donc difficile. Mais bien souvent, quand je me sens dans cette situation, j’essaie de revenir en arrière et de voir toutes les choses positives, toutes les personnes qui croient en nous. Et nous sommes invités et nous faisons des choses avec tant de personnes extraordinaires qui changent un peu les choses. Nous sommes donc tous ensemble. Je préfère donc voir ce côté-là et voir que même si les choses bougent très lentement, elles bougent. Elles bougent. Tout droit vers l’avant. Pas derrière. Nous ne revenons pas en arrière. Et nous sommes plus nombreux. Nous devenons plus forts.

Dr Alika Lafontaine Thatiana et son mari travaillent actuellement à l’obtention de la résidence permanente. 

Thatiana Hernandez (via traducteur) Nous faisons tout ce qu’on nous demande, et nous pensons que cela portera ses fruits à la fin. Nous espérons pouvoir obtenir notre permis de résidence permanente. Nous y travaillons depuis 2020 et nous aimerions que ce soit une chose de moins qui nous préoccupe. Mais nous espérons que tout cela finira par porter ses fruits et nous sommes très heureux.

Dr Alika Lafontaine Et le bébé ?

Thatiana Hernandez (via traducteur) Magnifique. Très beau. Il se débrouille bien. Il a commencé à aller à la garderie. Nous avons trouvé une garderie il y a trois semaines. Il pleure beaucoup. Il est en période de transition.

Dr Alika Lafontaine L’année dernière, le Canada a accueilli plus de 405 000 nouveaux arrivants – le plus grand nombre jamais enregistré en une seule année. Le gouvernement canadien, soutenu par les provinces et les territoires, continue de se fixer des objectifs ambitieux : 465 000 résidents permanents en 2023, 485 000 en 2024 et 500 000 en 2025. Il s’agit d’un impératif économique fort ; avec un taux de natalité négatif et une diminution de la disponibilité des travailleurs dans de nombreux domaines, la concurrence pour les migrants est un problème permanent pour les pays du monde entier. Au Québec, au moins 50 000 personnes vivent sans assurance médicale. Selon un rapport publié en 2016 par le Wellesley Institute, on estime qu’entre 200 000 et 500 000 personnes vivent au Canada sans assurance maladie. Il s’agit d’un chiffre prudent, équivalent à la population d’Halifax. Les migrants et les réfugiés représentent une part importante de ce nombre. C’est un fait que l’accès aux soins de santé est l’un des plus importants déterminants sociaux de la santé. Le manque d’accès peut avoir des conséquences dramatiques, en particulier pour les femmes enceintes et les personnes souffrant de maladies graves ou chroniques. En tant que médecin, je ne peux pas, en vertu de la loi et de l’éthique, refuser des soins à un patient qui se trouve dans une situation aiguë mettant sa vie en danger. En revanche, je peux refuser des soins préventifs à un patient et le forcer à attendre pendant que ses fonctions et sa qualité de vie se détériorent. C’est un choix impossible laissé aux patients et aux prestataires de soins. Mais seuls les gouvernements ont le pouvoir de trouver la véritable solution.

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